Shadow ne craignait rien ni personne. Il était le chien d’attaque de Pinxit, le genre à montrer les crocs et à mordre même avec deux balles dans la gorge. Et comme le chien qu’il était, il détestait les nuisibles qui fouinent dans les affaires de son maître. Son système était une affaire de son maître. La miss MacAlister s’était permise d’y fourrer son nez et d’y chercher allez savoir quoi. Shadow flairait l’embrouille et n’aimait pas ça du tout. Le plus troublant, ç’avait été sa façon de fouiner. C’était comme si…comme si elle avait tenté de directement lire dans les « pensées » de la Machine.
M’enfin, ça, il verrait à l’occasion. Là, fallait d’abord savoir ce qu’elle voulait et/ou savoir pour qui elle travaillait.
Shadow se mit donc à la suivre. Toujours fidèle à lui-même : discrètement, en évitant d’éveiller l’attention de la cible comme de la foule. Il devait savoir si elle voyait des employés « classés » de Pinxit en-dehors de ses heures de travail, ou d’autres contacts douteux. Shadow connaissait pas mal de contacts douteux. C’est pratique, quand on est douteux soi-même.
Sa filature ne donnait rien de très intéressant…pour le moment. MacAlister agissait comme toutes les femmes de son âge à la sortie du travail : chez Jenny’s, elle ne résista à l’envie d’un petit-pain « light » mais fourré (faut pas déconner) ; elle flâna de vitrines en vitrines, se déconfit en voyant le prix d’une veste en cuir (la moitié de son salaire), craqua devant un jean dont elle se dit sûrement « merde, y’a plus ma taille » ; eut soif, tout à coup, et s’acheta une boisson à un distributeur ; et enfin, atteignit la gare où elle s’assit sur un banc en attendant le train-intelligent.
Shadow ne ratait absolument rien de son parcours. Il était un assassin, et les assassins étudient leur cible de A…à Z. Il venait de s’adosser à un mur à bonne distance de la miss, quand un encart « contact inconnu » s’afficha sur son écran rétinien, accompagné d’une sonnerie qui lui vrilla les tympans.

Code:

INCOMING CALL____
NEW FREQUENCY RECEIVE____
RESEARCHING DATA____
CONTACT: MOÏRA MACALLISTER____

– Bonsoir Shadow. Je ne m'attendais pas à vous voir ici. En mission ?
Quoi ? Comment elle avait obtenu sa fréquence ? Shadow en était bouche bée. Surpris, il s’était redressé comme si on l’avait frappé.
– Toujours, répondit-il.
Il tourna la tête vers elle. Elle le regardait…
Comment savait-elle qu’il était là ? C’était comme s’il avait un mouchard et elle, la console qui indique clairement où il est, ouais, avec un énorme curseur rouge vif. Et Shadow n’était pas le genre d’agent à se faire avoir si facilement. A moins que…
Non, c’était complètement con. Un des toubibs de l’équipe aurait fait ça ? Lui implanter un mouchard ?
Shadow se mordit la lèvre inférieure. Toutes ces questions devaient trouver une réponse, et vite.
– Je ne nous savais pas si…intimes, miss MacAlister.
Comment avez-vous eu ma fréquence ?

- Disons que je m'étonne de vous voir dans les parages.
L’Ombre de Pinxit s’était faite une telle réputation de traqueuse des coins sombres qu’il était effectivement étonnant de le voir dans des lieux si banals. En fait, cette réputation la bouffait tellement que son humanité avait été carrément oubliée, et qu’il était même devenu étonnant de la voir faire des choses normales. Les passants l’ignoraient comme beaucoup ignorent les augmentés ; tandis ce que ceux qui le connaissaient, les employés de Pinxit, voyaient tout sauf un mécha exaspéré d’attendre son train. Eux voyaient une Ombre tellement noire, tellement menaçante qu’elle les mettait mal à l’aise.
– Un peu plus et je penserais être devenue votre cible…
Le visage de Shadow se fendit d’un sourire en coin. Perspicace, la miss. A croire que sa fonction était inscrite sur son front : « Je suis l’assassin d’Aryan Turner. » Evidemment, tout le monde connaissait l’Ombre du PDG de Pinxit. Cela dit, officiellement il était un agent d’élite doublé d’un garde du corps. Agent d’élite, ouais. Ça englobe beaucoup de choses, agent d’élite, et personne n’est censé demander des comptes. Seuls les membres du projet Viper savaient réellement que Shadow était un assassin, un vrai, qui attaque dans le dos et égorge ses victimes au couteau empoisonné.
– Vous avez des choses à vous reprocher, miss ?
– C'est toujours un peu étrange d'être en présence d'un membre de votre groupe.
Tiens donc. Elle était au courant du projet Viper (secret…, bonne blague). Rien d’étonnant : cette fouineuse avait fourré son nez dans ses fichiers système…Voilà d’où sortait cette idée de « cible. » Elle n’ignorait rien de son rôle d’assassin, car certains de ces fichiers volés contenaient des informations douteuses voire franchement illégales.
Le sourire de Shadow s’agrandit.
– Donc, vous ne niez pas avoir fouillé dans les petits papiers de Pinxit. Vous avez du cran, ça me plait.
La traque n’en est que plus passionnante.
L’entêtant jingle des gares de Starway retentit. Shadow ne prêta la moindre attention à l’annonce qui suivit. Une rame entra en gare en glissant avec langueur sur ses rails. Une masse impressionnante de gens en sortit et emprunta le chemin de la sortie. Shadow perdit Moïra de vue. Quand ils devinrent moins nombreux, l’Ombre s’était évanouie. Elle avait profité de cette diversion pour activer son Evolved et disparaître. Elle réapparut juste à côté de Moïra, adossée au mur et les bras croisés.
– Vous savez, miss MacAlister…quand il y a marqué « top secret » quelque part, ce n’est pas sans raison. Et ça vaut aussi pour les fichiers informatiques.

Spoiler:

L'interdit a toujours éveillé l'intérêt des hommes et poussé certains à franchir les limites... Un discours tout à fait crédible dans la bouche d’une employée de Pinxit. Shadow était né de ces limites dépassées, justement. Aucune loi n’autorisait le la recherche/développement d’armement et d’augmentés de guerre privés. Shadow sourit à cette idée. Elle en savait long, la demoiselle, mais pas encore assez pour en tomber malade.
– Une remontrance ?
S’il était venu pour ça, il se serait démerdé pour la coincer dans une ruelle sombre où il l’aurait saisie par le col et l’aurait menacée d’une lame sous la gorge. C’était sa manière de faire comprendre aux gens ce choix très simple : obéir à Pinxit et fermer sa gueule, ou mourir. Non, en réalité, il était là pour enquêter. Au-delà de ses petits secrets glanés ça-et-là dans les systèmes de l’entreprise, MacAlister avait…autre chose que Shadow devait trouver.
– Si c’était le cas, nous ne serions pas là à parler comme des gens civilisés.
Tous, y compris les employés de Pinxit, voyaient Shadow comme un molosse qu’Aryan Turner lâchait selon son bon vouloir. De là était venu le surnom de chien d’attaque de Pinxit et la rumeur de ses pratiques peu conventionnelles.
Il fixa MacAlister, le visage inexpressif. Ses yeux cybernétiques mettaient certaines personnes mal à l’aise. Surtout celles qui avaient des choses à se reprocher. C’était comme regarder une machine prête à vous tuer et retenue par la seule volonté d’une autre personne.
– En tout cas, les systèmes de protection de Pinxit ont quelques lacunes.
– Pas pour longtemps.
Shadow glissa une main dans son manteau. Un geste souvent perçu comme suspect, comme s’il allait dégainer un flingue au milieu d’une foule. Il extirpa simplement une boîte de métal, l’ouvrit soigneusement et en sortit une cigarette. Il la glissa au coin de ses lèvres et l’alluma d’un geste expert.
– Vous savez, miss MacAlister, je ne suis pas très doué pour les mensonges et les faux-semblants. Vous avez fouiné dans les dossiers secrets de Pinxit. Vous en savez beaucoup trop pour votre propre bien au sujet des Black Vipers.
Il souffla un jet de fumée tandis ce que ses yeux vagabondèrent un moment sur la foule environnante.
– Oui, je suis l’un d’eux. Oui, nous sommes les chiens de guerre d’Aryan Turner. Et vous savez ce que font les chiens ? Ils traquent. Ils mordent. Ils tuent. Moi, je suis plutôt du genre traqueur…celui qui décèle les secrets. Et il se trouve que j’ai flairé quelque chose chez vous.

Spoiler: