Echouée sur son lit à baldaquin, elle était une fois encore perdue dans ses pensées. Depuis quelques jours, c'est-à-dire depuis ce qu’on a appelé dans la Cour de Lumière « l’incident diplomatique », Lauralyn avait perdu l’appétit, n’arrivait plus à dormir et était bien plus irritable que d’ordinaire. Elle ne pouvait plus voir quiconque, préférant rester seule. Elle réussit à prétexter une maladie pour se libérer de ses parents. On la laissa donc dans sa chambre, les domestiques lui apportaient ses repas à heures fixes.
Son cœur était déchiré, il ne lui semblait qu’être devenu un amas de chairs dévastées, arrachées. La pensée de ces deux années de complicité avec le Faë qui l’avait « trahi » la torturait.
«
Comment a-t-il pu ? » pensa-t-elle une énième fois.
La jeune faë le revoyait lui parler de sa solitude dans sa Cour sordide. Ses paroles étaient si touchantes, elle ne pouvait s’empêcher d’être compatissante, elle comprenait si bien ses blessures. De même, elle se sentait si proche de lui, tellement à l’aise avec lui. Elle lui avait confié Ô combien elle étouffait dans sa propre Cour. La peur de décevoir son peuple, l’envie de faire des efforts dans ses études et dans son devoir de future souveraine la pesait. La Princesse se sentait des fois si incapable, si jeune et fragile… Pourtant, Nevius savait trouver les mots justes pour la réconforter, pour l’encourager, la soutenir.
En se retournant dans son lit, Lauralyn plongea sa tête dans son traversin pour étouffer les larmes qui s’échappaient.
«
Nevius… comment as-tu pu ? » sanglota-t-elle en serrant ses poings.
Elle savait au fond d’elle-même que la complicité qu’elle ressentait dépassait la simple amitié ou la simple relation de confidences. Au fond d’elle-même, elle savait que son cœur battait bien plus fort. Elle savait que ses sourires étaient ceux d’une fille amoureuse. Avant son
geste, il lui brûlait de lui avouer ses sentiments. Elle adorait son sourire, son regard qui pouvait paraître froids de prime abord, mais si emplit de compassion à son égard.
Elle aimait aussi rire avec lui. En effet, parfois, ils s’amusaient ensemble comme de vrais enfants. Le Prince faisait apparaître son animal du Néant et faisaient des jeux avec lui. Elle revoyait cette bestiole étrange, qu’elle avait nommé Ciceron, lors de sa première apparition en train de courir après une balle en plastique et mastiquer l’objet en question. Il riait de la voir autant étonné ! Avec une autre personne, elle se serait sentie humiliée, mais avec lui, elle était toujours hilare. Ce Prince l’aidait à oublier leur condition sociale, leurs responsabilités et leur Cours respectives.
Le jour de « l’incident », il s’était montré si dur envers elle. C’était l’unique fois en deux ans qu’elle ne se sentait aussi peu en sécurité. Lorsqu’il avait haussé le ton, elle ressentait de la peur. D’autant plus qu’il avait fait preuve d’une certaine violence lorsqu’il l’avait plaquée contre le mur. Mais alors, pourquoi son baiser ? Pourquoi de cette façon là ? Ressentait-il les mêmes choses qu’elle ?
«
Princesse Lauralyn ! »
La voix d’un des gardes la fit sortir de ses pensées. La Princesse sécha ses larmes, se repoudra un peu afin de cacher ses paupières noircies par la fatigue. Elle se dirigea vers la porte d’acajou d’un pas lourd dans le but de faire entendre son mécontentement habituel.
Elle ouvrit sans un mot, et regarda son interlocuteur très durement. Celui-ci semblait perturbé.
«
Vous êtes demandée, au Conseil de la Cour. »
C’était son devoir, la future souveraine
devait mettre ses sentiments de côté pour servir son peuple. Enfin, plus officieusement, pour servir les intérêts de la Cour. Elle se rendit donc dans la salle du Conseil.
Escortée par ses gardes habituels, la Princesse traversa le palais de lumière. Généralement, elle s’émerveillait de traverser les couloirs de pierre ainsi que la salle du trône. Celle-ci était une énorme et magnifique pièce ouverte sur l’extérieur, recouverte de tapisseries et de soieries dorées. Les fenêtres étaient si grandes qu’elles laissaient entrer la lumière naturelle. Le trône, ce grand fauteuil de velours rouge et or, imposait les souverains de leur puissance. Une porte dérobée les mena vers la salle du Conseil, une pièce bien sobre, où les nombreux conseillers et experts l’attendaient autour d’une simple table en bois. La Reine était également présente.
Les Conseillers se levèrent et la saluèrent respectueusement.
Un nouveau Conseil Extraordinaire devait à nouveau réunir la Cour des Ombres et la Cour de Lumière. Il fallait renouveler les accords de paix afin de protéger les faës des disparitions encore trop nombreuses. On soupçonnait Pinxit Industries d’enlever des êtres magiques afin de faire des expérimentations douteuses. Sans preuves ni moyen, aucune des Cours ne pouvaient faire de recours contre Le Conglomérat. Néanmoins, au vu de la puissance politique du Conglomérat, est-ce qu’un recours en justice était réellement utile ? ll ne leur restait ainsi qu’une coopération pour rassembler les meilleurs moyens de protection des deux Maisons.
Les questions de Conseil tournèrent autours des interlocuteurs : qui devaient représenter la Cour de Lumière ? Deux ans auparavant, alors qu’elle était très jeune, la Princesse avait montré ses talents diplomatiques envers son homologue, bien plus expérimenté. Le second Conseil a montré une certaine preuve de faiblesse. Elle devait faire à nouveau montrer ses capacités et, de ce fait, prouver que la cour de Lumière possédait une descendance de Souveraines puissantes ! Lauralyn se sentait hésitante. Il y avait une forte probabilité que Nevius Ravencius serait le représentant de la Cour des Ombres. Caïn n’avait que faire de ses sujets, et la Princesse Nevia était au bord d’accusations douteuses. De plus, elle n’avait pas autant de capacités diplomatiques que son frère.
«
Si je suis la mieux placée pour représenter mon peuple, alors je demande à ce qu’un Conseiller en Diplomatie m’accompagne. »
Celui-ci fut tout désigné : le professeur de lady de Blanval, Valeryan de Marlor. Un faë qui fut autrefois conseiller pour d’autres politiques, mais que sa transformation méta-humaine lui a permit de travailler pour d’autres personnes de sa condition. Il proposa d’amener la garde de la Princesse pour lui assurer sa protection, et faire pression sur la Cour des Ombres. La Cour de Lumière était certes pacifique, mais devait également montrer sa fermeté.
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Le Conseil extraordinaire se déroulait, selon le protocole établi par les deux Cours, au sein d’un bâtiment réquisitionné de Sighthill. Afin de faire honneur à ses hôtes, Lauralyn était parée d’une robe aux couleurs de la Cour des Ombres : en noir et pourpre. Le Conseiller, à sa droite, était vêtu d’une toge blanche et azur. Ils entrèrent ensemble dans le bâtiment vétuste, guidés par deux gardes Unseelies en tête, deux gardes Seelies fermèrent la marche. Ils furent amenés dans une salle assez bien éclairée, contrairement au reste du bâtiment, où deux tables se faisaient face. Les représentants des Seelies furent placés sur derrière le bureau de droite, les homologues Unseelies seraient placés à leur gauche.
Les représentants de la Lumière étaient arrivés les premiers. Lauralyn tremblait. Elle priait Alextraza de ne pas avoir à faire avec le Prince qui l’a blessé.
Un des gardes annonça : «
Prince Nevius Ravencius, accompagné de son… Animal. Représentant de la Cour des Ombres. »
A peine les mots « Nevius Ravencius » furent prononcés que Lauralyn tressailli. Son cœur battait la chamade en entendant ses pas. Et lorsque celui-ci entrait dans la pièce… Elle imita son Conseiller en se levant. Cependant, elle ne put s’empêcher de serrer les poings afin d’éviter de trembler devant lui. Ce geste trahissait son désarroi. De même, elle tremblait lorsqu’elle lui fit une révérence qui se voulait respectueuse.
Le Prince prit place de son côté. La Princesse laissa son Conseiller introduire la situation et expliquer la stratégie pour la coopération commune. Lauralyn restait muette sur sa chaise, évitant du regard son homologue et préférant observer l’animal de compagnie qu’elle avait nommé « Ciceron ». Celui-ci semblait l’avoir également reconnue et paraissait agité.
Son cœur se serra davantage lorsque Nevius prit la parole.